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1963-2009 (13 mars). Impressions d'un fonctionnaire affecté à Laguépie=
Ce 13 mars 1963, je dois rejoindre mon poste au Collège de Laguépie. "Juste married" à Hyères, j'avais pris des rense
ignements sur le potentiel économique du village. Nombre d'habitants moins de 1000. Foire aux bestiaux, foire aux châtaignes. Deux usines de chaussures. L'énigme est suspendue jusqu'à la découverte réelle du lieu. Pour un village de cette capacité, c'est surprenant, surtout en milieu rural dominé par l'élevage.
C'est samedi, avant de nous lancer vers l'inconnue, notre couple décide de passer la nuit à Toulouse. Naïfs, nous choisissons l"Hôtel d'Orléans" Rue Bayard. Ici, sur le trottoir ou derrière la vitrine, les mannequins gesticulent, leur but est de viser autre chose que de promouvoir le textile... Dans l'après-midi, nous nous rendons innocemment dans la salle de danses. Sur la piste, la manière de tenir la cavalière nous paraît "cavalier", l'évènement serait passé inaperçu, si quelque temps plus tard, mon ami Jean Ubiergo Toulousain de souche, ne s'était pas ri de nous. C'est un Hôtel de passes, va-t-on apprendre par la suite. Un haut lieu pour ce genre de rencontres coquines. Jeunes mariés, nous ne détonons pas. Personne ne s'est rendu compte de notre couple légalement soudé.
C'est dimanche, la capitale de Midi-Pyrénées vit toujours au rythme espagnol. Les animations du quartier de la gare vont nous faire découvrir une transition avec mon poste d'affectation plus rural qu'urbain. Toulouse-Tessonnières, le convoi se scinde, une partie vers Albi, une autre, celle qui nous concerne vers Paris par Capdenac. A l'âge de six ans, la micheline qui passait tous les jours à Saf-Saf, du balcon du domaine de mon père, je la voyais rouler . Ici, rivé sur siège, je découvre le tortillard qui s'arrête à toutes les gares. Ponctué par l'annonce de la durée d'arrêt et le coup de sifflet du chef, ce voyage nous paraît interminable. Arrêt à Lexos. Saupoudré de poussières de la cimenterie Lafage, le site ressemble plus à une banlieue parisienne industrielle - ma grosse déception en débarquant de Philippeville- qu'à un village rural. Je découvrirai plus tard que ces imposantes cheminées faisaient vivre cent vingt familles, une aubaine pour les salariés en quête d'emploi.
Le coucher de soleil, sur son déclin, veut participer à notre arrivée. Il ternit le cadre. Cette fin de saison n'ose pas montrer encore la végétation que nous découvrirons abondante par la suite. Ici, le printemps met du temps à se manifester. Après la Côte d'Azur d'où nous venons, mon épouse et moi, après l'éclatante cité du Capitole, nous voilà bel et bien en pleine "cambrousse" perdus dans une civilisation apparemment étrangère à la nôtre. Après toute une jeunesse marquée par les guerres, je voulais de la tranquillité. "Tu l'auras!", s'est dit le secrétaire du syndicat des enseignants qui recevait mes doléances avant mon affectation. Je commençais à regretter mon choix. Lorsque la machine quitte Lexos, un cri de soulagement. En effet, mes voeux Rue de Grenelle étaient formulés de la manière suivante : toute la France, excepté, la Bretagne et le Nord - préjugés absurdes.
Tout à coup, le crissement des freins. "Lapébie" ironise un voyageur en authentique tenue aveyronnaise, habits sombres de pied en cap. Dans cinq minutes, il sera 19h. Le village sommeille déjà. Pas âme qui vive. Seuls quelques adolescents sur le quai sont venus accompagner leurs camarades pensionnaires au Lycée de Villefranche-de-Rouergue. "Nous voilà engagés dans une drôle d'aventure". Sitôt franchi le seuil de la gare, nous nous sommes précipités vers le guichet pour savoir à quelle heure passerait le prochain train pour rebrousser chemin. Aucun horaire ne nous était favorable, plus de train avant le lendemain. Heureusement!
Il ne nous reste plus que d'aller jusqu'au bout. La moindre des courtoisies exige que l'on se présente au chef d'établissement. Nous sommes reçus par Madame Garrigues épouse de Raoul, le responsable de l'Etablissement. Ce dernier absent est parti chasser en Sologne. Il ne rentrera que tard dans la nuit. La maîtresse de maison, personnage imposant mais docile, sait nous convaincre, son poste de secrétaire de mairie l'a habituée à faire face à toutes les situations. Devinant notre désarroi, elle lance aussitôt :" Je suis originaire de Nantes, ici, je me suis habituée, c'est très agréable, vous verrez!". Je me rendrai compte que le couple se distingue par l'élocution, elle parle sans rouler les "r", tandis que lui accentue cette consonne à la manière d'un chanteur d'opéra.
Un excellent whisky bien tassé, servi à l'heure de l'apéritif va nous clouer pour dix ans, conquis par cette agglomération de gens aimables et fidèles en amitié. Ils vont participer àconsolider ma personnalité. Je salue la mémoire du couple Garrigues. Grâce à la TV qui commence à rentrer dans les maisons, avec monsieur, je vais découvrir le rugby que l'entraîneur Ballarin, vétérinaire à Philippeville - diantre originaire du coin- n'avait pu me convaincre de détrôner son concurrent, le Foot-Ball. J'entends encore les commentaires passionnés de Roger Couderc. Le trio Garrigues-Ballarin-Couderc, je les considère comme les monuments qui m'aient le plus influencé pour la découverte de la balle ovale.
Couple guindé que nous formons mon épouse et moi, je sens que Madame Garrigues est bien embarrassée. On attendait un célibataire. L'appartement prévu est loin de convenir. Pour la nuit, on nous emmène à l'Hôtel d'Orléans. Cadre magnifique. Calme. Au crépuscule avancé, je suis saisi par cette fraîcheur dont je suis peu accoutumée. Le fleuve l'Aveyron lèche le bâtiment. J'ai l'impression de naviguer sur le "Cazalet" en Méditerrannée. Simple impression ramenée à la réalité quand le chant d'oiseau se mêle au bruissement de l'eau. La chaussée ou cascade du moulin accentue l'ambiance bucolique et insolite. Le lendemain, après le petit déjeuner, il n'est pas question d'y séjourner longtemps. Mon salaire de fonctionnaire débutant ne nous le permet pas.Bonté, gentillesse, que de mots pour qualifier la qualité de cette réception. Monsieur et Madame Garrigues sauront nous convaincre pour ancrer le début de carrière ici. Pendant, la restauration d'un appartement de fonction, ils vont nous prêter la villa à la Mayonnelle. Que les Guépiens se rassurent. Après dix ans de présence dans ce village, il nous est difficile d'oublier...( Mémoires d'un Fonctionnaire)
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L'Hôtel d'Orléans dans un cadre féerique. Hôtel où notre couple va passer la première nuit avant les quelque 3500 nuitées. C'était à Laguépie (13 mars 1963- 25 août 1972)
(cliquez pour le plein écran)Cette école haut perchée a accueilli le couple Di Costanzo dès 1963. Risible : le lieu s'appelle, le Puech Haut (puech, puy, puig c'est déjà une hauteur dominant, mais y ajouter l'adjectif haut, voilà donc un pléonasme voulu pour indiquer que du balcon on peut dominer l'alentour).
Historique du bâtiment : jusqu'à la seconde Guerre Mondiale, le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux de la Mairie et l'étage par les logements d' enseignants. Certes, d'ici, le maire dominait ses ouailles, mais cell
es-ci, arrivées à un certain âge ne pouvaient plus gravir les escaliers. Il en était ainsi pour l'église ancienne dont aucune ruine ne subsiste, elle était située sur le même promontoire.
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( Nous pouvons remarquer que la façade de l'église nouvelle quelque peu meurtrie, sera restaurée sous le mandat de Monsieur Bories Elie, Maire et Conseiller Général. Ce cliché date de 1963 : sur la place, l'Ami 6"jaune appartient à mon ami Ubiergo Jean, prof d'Anglais et de Français au collège. Son appartement se situe à droite de la porte de la Mairie.)
A partir des années 50, d'importants transferts vont avoir lieu : la maison communale ne quittera pas la proximité de la maison sacrée, toutes deux plus accessibles en véhicule. Lorsqu'en 1957 le Collège s'installera au bord de l'Aveyron, après acquisition du bâtiment Fricou, il ne resta plus que logements, classes primaires et maternelles, et cours ménagers. A la fermeture du collège en 1970, les classes restantes se trouvaient écartelées ; une partie en haut, l'autre dans les locaux libérés du CEG. Toutes les commodités qu'offraient les aménagements du collège m'imposèrent un transfert définitif de toutes les classes primaires. Depuis, les élèves peuvent se glorifier de posséder une des écoles les mieux lotis du département. Seule la proximité du fleuve a présenté un danger constant. Sinon, quel magnifique cadre!
Mes Libres-Propos : au cours des années sixties et avant, un enseignant se devait d'être logé. Ne pas payer de loyer, me semble-t-il c'est une façon de fixer le fonctionnaire pour une période honorable. Ce n'est pas un détail négligeable. A l'époque, l'instituteur et le professeur s'investissaient dans le bourg où ils étaient nommés. Malgré eux, ils devenaient des cadres à part entière en participant à la vie active et culturelle. Dans le milieu rural, il en manque toujours. Puis de régression en régression, comme pour le passage des profs de CEG en PEGC, ce, en 1969, depuis 1990, l'instit devenu professeur des Ecoles a été classé en catégorie A. En conséquence, ce statut décrète qu'il ne donne plus droit au logement de fonction. Alléchant profil de carrière par la révision des indices. Les premières années, l'enseignant touchait une indemnité compensatrice d'environ 140 euros, à Paris on n'a pas même une demi-chambre de bonne. Aujourd'hui, les appartements conçus en zone scolaire sont loués indistinctement à tout bailleur à raison de 450 euros, sans indemnités me dit-on. Voilà donc, comment les gouvernements successifs se sont arrangés pour appauvrir le budget d'un fonctionnaire dont le seul avantage, non négligeable , est d'être stable. Dûs aux emplois précaires du privé, par les temps d'incertitude qui courent, il faut qu'il s'en contente et qu'il se taise. Quant aux syndicats de toutes obédiences revendiquer une revalorisation de salaire ne peut en aucun cas rivaliser avec la spoliation que je viens de déconcer. En tous cas, le fait d'avoir été logé, mon couple a pu faire face au maigre revenu de début de carrière, lot de tout fonctionnaire.
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Commentaires
2getanzoJeudi 24 Janvier 2019 à 10:21Je confirme, Mr Ubiergo a enseigné à Ingres Pour plus de renseignement contactez-moi par E-Mail
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RiddarJeudi 4 Juin 2020 à 23:14
Bonjour,
je suis un ancien élève de M.Ubiergo, et je viens juste de penser à lui en écoutant du Brassens, car il nous avait une fois écrit l'Auvergnat au tableau.
je ne sais pas s'il est toujours de ce monde mais s'il l'est dites-lui qu'il reste à jamais gravé dans ma mémoire de lycéen pour m'avoir fait découvrir l'occitan entre autre...
Merci.
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Bonsoir,
Pourriez-vous me préciser si monsieur Ubiergo a enseigné au lycée Ingres de Montauban s'il vous plait ?
Merci et meilleurs voeux pour 2019.